Par Amit Bakhirta

« Inventez-vous, puis réinventez-vous. »
Charles Bukowski

L’année 2020 a indubitablement été une année qui a ramené notre monde à une réalité oubliée mais aussi brutalement réelle : celle de la supériorité de la nature sur l’humanité. Elle nous a très certainement rappelé que nous restons humblement vulnérables à son évolution, à sa mutation. Notre planète reste suspendue dans l’infinité de cet univers dont nous connaissons et comprenons si peu. Aussi délicate, sublime et harmonieuse qu’est la planète Terre, aussi impitoyable qu’elle puisse être : ainsi est le concept métaphysique du paradis et de l’enfer – l’équilibre universel. Une terre en évolution dicte l’évolution naturelle d’une économie, peu importe la directionnelle. Ainsi donc, une évolution de son tissu socio-économique fondamental est inévitable si une nation rêve de prospérité. Elle se doit.

Si l’évolution est restreinte, l’économie et ses participants ont souvent un besoin urgent d’un secouement. Un shake qui shake vraiment ! Maurice, à notre humble avis, à ce carrefour de son histoire socio-économique, en a cruellement besoin. Cette île doit être secouée.

 

Relier l’Asie à l’Afrique

Pourquoi ? Alors que nous entamons cette décennie, nous ne pouvons que réaliser la suprématie économique, technologique et militaire de la Chine dans le monde moderne d’ici à 2035 (avec prudence). La géopolitique internationale n’a pas été aussi cruciale depuis la fin des première et deuxième guerres mondiales lorsque la suprématie mondiale a changé de mains. La Chine dépassant le PIB des États-Unis d’ici à 2035 pourrait vraisemblablement être la transition macroéconomique la plus importante que la planète connaîtra au XXIe siècle. La montée du système socio-économico-politique hybride du communisme-capitalisme par rapport à la réalité démocratique-capitalisme d’aujourd’hui aura des implications énormes sur les générations à venir. Beaucoup d’entre nous ne le verront pas. Certains si. Certains auront ainsi la fortune de vivre une transition mondiale si puissante que la future politique mondiale, la macroéconomie mondiale et les structures monétaires et financières mondiales seront remodelées.

Pour cette seule raison, Maurice se doit de renforcer ses relations diplomatiques avec la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et surtout l’Afrique. L’avenir sera probablement dicté par l’énormité d’une consommation interne dans ces pays. Nos décisions stratégiques géopolitiques dicteront donc l’île Maurice de demain. Nous ne pouvons que lui consacrer des ressources adéquates. Nos liens géopolitiques, notre roue économique et nos marchés financiers doivent être innovés de telle sorte qu’ils relient véritablement la puissante Asie à la frontière de la croissance, l’Afrique.

L’économie mauricienne ne peut plus se permettre ce neuf à cinq obsolète. Nous devons ramer 24/7, et cela vers l’Afrique, patrie des opportunités. Des opportunités qui peuvent vraisemblablement conduire Maurice vers une prospérité socio-économique de 1 000 milliards de roupies de PIB.

Comment ? Jusqu’à ce que nous, en tant que peuple, nous entendions sur une destination socio-économique aussi spécifique, propulsés par des bons dirigeants à la servitude altruiste de notre nation et qui nous bénissent avec l’intellect requis et un environnement propice pour atteindre cet objectif quantifiable avec des multiplicateurs socio-économiques sensibles, nous resterons sans direction !

Des décisions et réformes politiques publiques et privées difficiles et importantes doivent alimenter notre réinvention économique ; nonobstant cela, Maurice risque avec le temps de perdre tout avantage concurrentiel.

Si le navire socio-économique mauricien n’a pas de destination socio-numérique claire, le pays naviguera alors à l’aveugle, étant semblable à sourire à une belle femme ou bel homme dans l’obscurité totale.

L’Afrique reste notre panacée

Nous devons nous asseoir, briser cette économie, et déterminer comment nous ferons évoluer notre structure économique, pour une croissance durable et inclusive qui nous amènera cet objectif numérique. D’un PIB d’environ 496 milliards de roupies en 2019, nous atteindrons au mieux ce chiffre de 1 000 milliards de roupies en 2038 (après 18 ans et en supposant un taux nominal de croissance moyen pondéré du PIB de 3,8%). Doubler le PIB d’un pays n’est certes pas une tâche facile, mais la taille insignifiante de Maurice à l’échelle mondiale nous aide. La Chine et l’Afrique étant deux économies de consommation super massives, nous ne pouvons que vouloir nous en nourrir.

L’industrie mauricienne doit être réinventée, doit être « africanisée » ; autant que stratégiquement possible. Ne réinventons pas la roue mais polissons-la. Nous avons besoin des meilleurs cerveaux que ce petit morceau de terre au milieu de l’océan Indien puisse produire. Nous avons également besoin des meilleurs Africains (il existe déjà un vivier incroyable de jeunes hautement talentueux, intellectuels, qualifiés et non qualifiés en Afrique ; l’intellect certes ne connaît pas de frontières).

Les chasseurs locaux sentent toujours les « proies » locales différemment et surtout distinctement. Et l’Afrique a 54 territoires de chasse si différents pour notre petite économie. Vous ne pouvez pas rêver de chasser dans la jungle africaine sans les bons outils de chasse et une connaissance approfondie du terrain. Pourtant, de nombreux grands conglomérats locaux ont essayé et échoué. Cependant, l’échec fait partie de l’apprentissage, partie intégrante de l’éducation, de l’innovation, de la croissance, du progrès et de la prospérité. Pourtant, au niveau national, notre culture en décourage.

Nos décisions stratégiques géopolitiques dicteront l’île Maurice de demain.

Pourquoi la culture américaine est-elle si entrepreneuriale ? Parce qu’elle honore, séquentiellement, ceux qui essaient, échouent et apprennent de leurs erreurs, repartent et réussissent. Des gens partout, malgré des cultures socio-économiques, juridiques et politiques variées, sont souvent confrontés aux mêmes besoins et désirs, et l’Afrique reste donc notre panacée. Leurs marchés restent raisonnablement sous-desservis (pour 1,2 milliard de consommateurs, peut-être 3 milliards d’ici 2030). Un alignement privé-public des intérêts à long terme sera très probablement la base de ce « grand rêve ». Mais on ne peut aimer la mer des tropiques sans aimer la chaleur !

Nous avons besoin d’une voix économique forte à la table de l’Union africaine. Une voix qui reflète l’ambition socio-économique de notre nation. Maurice doit à nouveau oser de rêver grand. Nonobstant, sans plan, un rêve reste un rêve.

 

Opportunité de levier unique

Nous entamons un nouvel ordre de cycle d’investissement. La pandémie de Covid-19 a accéléré de profonds changements dans le fonctionnement des économies et des sociétés. Nous voyons des transformations à travers la durabilité, les inégalités, la géopolitique et la politique macroéconomique. Cela se reflète dans nos thèmes d’investissement en 2021, celui-ci devenant de plus en plus intellectuellement difficile. À ce stade socio-économique, les taux d’intérêt globalement bas couplés à la faiblesse des taux de croissance économique dans les pays développés obligent les entreprises mauriciennes à être pleinement et intelligemment pompées de dettes jusqu’au cou !

La structure du capital de nos entreprises locales doit donc, autant que possible, être imprégnée d’une dette libellée en roupies et en devises étrangères historiquement peu coûteuse mais productive (expansionniste) et se concentrer sur la croissance. Les activités de fusions et acquisitions ainsi que les restructurations de capital devraient être en plein essor ; le marché, dans de nombreux espaces, est mûr pour une consolidation suivie d’une expansion régionale stratégique. C’est le moment de s’endetter, par des dettes massives (mais sachez en utiliser à bon escient avec des opportunités d’entreprise inorganiques raisonnables et importantes ; les rachats d’actions, même ceux avec effet de levier, sont plus sensés que jamais).

Avec une forte hausse des niveaux d’endettement public et privé à l’échelle mondiale et une ère inflationniste mondiale faible, la croissance restera probablement anémique dans un avenir prévisible. Les bons du Trésor ont un rendement négatif à moins de 1% dans les pays développés. Dans le grand monde émergent, elles s’en tirent nord de 3% à 6% tandis que les euro-obligations africaines en devises fortes rapportent au nord de 4% à 12%, attrayants vis-à-vis des taux d’inflationnistes nationaux supérieures et donc des opportunités d’arbitrages. Par conséquent, dans cet environnement actuel, nous prévoyons une croissance inférieure à la normale à Maurice, à moins des réformes indispensables, ce qui prend malheureusement du temps.

Les marchés des capitaux en feu en 2021

Chez Anneau, nous maintenons notre instant plus pro-risque tactiquement en 2021 en ajoutant une surpondération et une concentration des actions nationales alors que nous voyons la plausible reprise économique s’accélérer (des bas de 2020). La prime de risque sur les actions nous paraît raisonnable et la baisse des taux réels pourrait lui permettre de se comprimer davantage, soutenant les valorisations sélectivement – localement et internationalement. L’accent doit donc être mis sur la valeur avec une inflexion pour la qualité et les noms robustes, en particulier dans les marchés émergents à haut rendement qui, selon nous, connaîtront le changement tactique mondial tant attendu dans les prochaines décennies.

Nous voyons de telles expositions fournir une résilience au début de la nouvelle année, en particulier si le soutien budgétaire déçoit aux États Unis ou si le déploiement des vaccins est retardé. Nous favorisons donc également certaines expositions cycliques que nous considérons comme florissantes à mesure que le calendrier du déploiement généralisé des vaccins avance.

Que les crises soient excellentes pour des réformes audacieuses et intelligentes.

En 2021, nous prévoyons que la Banque de Maurice fera plausiblement face à des temps difficiles à venir, car elle devra équilibrer la nécessité de maintenir des taux d’intérêt bas pour stimuler cette reprise économique et elle fera face à un besoin de resserrement à mesure que l’inflation s’accélère (2,4% reste probablement le décollage), avec une roupie sensiblement plus faible, surtout si nous ne transformons pas la Mauritius Investment Corporation en un inducteur de croissance nette de l’inflation – les yeux sur nos réserves et la roupie.

2021 verra réduire le risque d’une hausse rapide des taux d’actualisation affectant les valorisations dans presque toutes les classes d’actifs. Nous aimons les actifs durables, car le virage tectonique vers la durabilité ne fait probablement que commencer. Nous voyons également un plus grand rôle pour les actifs exposés sur le marché chinois et les actifs du marché privé pour le rendement, l’appréciation potentielle et l’exposition à des tendances de croissance uniques.

L’économie mauricienne ne peut pas se caser à cinq heures dans ce monde moderne ! Nous devons réinventer ce moteur pour que nous passions à un modèle économique 24/7 et devenir le « Monaco » africain. Que les crises soient excellentes pour des réformes audacieuses et intelligentes. Cet objectif de 1 000 milliards de roupies de PIB doit être humblement fixé et respecté. Mais par qui ?

« Les lèvres de la Sagesse sont closes, excepté aux oreilles de la Raison. » (Le Kybalion)

Amit Bakhirta
Amit Bakhirta est le fondateur et CEO de la firme Anneau (www.anneau.co), une société de services financiers à Maurice.