Par Eric Ng Ping Cheun
Ils sont loin de ceux qui manifestent dans la rue contre la perte du pouvoir d’achat. Les alarmistes climatiques, pour qui la nature est plus importante que l’homme affamé, remercieraient la Russie d’avoir fait monter les prix du pétrole en envahissant l’Ukraine. Des prix élevés entraînent moins de consommation, les gens utilisent moins leur voiture, ont recours au covoiturage et se tournent aux modes alternatifs de transport. Mieux, si vous croyez que l’usage de combustibles fossiles est en train de détruire la planète, alors vous devrez opter pour la voiture électrique. Sinon, vous seriez taxé de climato-hypocrite, mais politiquement correct.
Depuis 2012, année où la voiture électrique a été introduite à Maurice, seulement 385 véhicules de ce type sont sur les routes, selon la Motors Vehicle Dealers Association (le mauricien, 12 avril 2022). Son secrétaire général explique ce manque d’intérêt par le prix de vente. Si le coût relativement élevé de la voiture électrique est un facteur décisif, c’est qu’il met en lumière une idée économique essentielle.
Sur un marché libre, on cherche naturellement le moins cher, c’est-à-dire le plus économique. Par le simple fait qu’ils restent prisés malgré la hausse des prix des carburants, les véhicules avec des moteurs à combustion interne sont considérés plus économiques que les véhicules électriques. S’il était moins cher de passer à ces derniers, les gens l’auraient déjà fait dans leur propre intérêt, en l’espace de dix ans.
Le coût d’acheter et de conduire une voiture électrique constitue un point de basculement. Lorsque les carburants deviendront vraiment très chers – et l’essence l’est déjà à Rs 67,40 le litre à la pompe –, alors la voiture électrique sera plus abordable, dans lequel cas les Mauriciens s’y intéresseront facilement. Elle sera alors la meilleure option économique, sous réserve que les conditions de la concurrence soient égales entre les deux types de véhicules.
Un véhicule électrique requiert six fois plus d’apports minéraux qu’un véhicule équivalent avec moteur à combustion interne.
Mais si la voiture électrique bénéficie de crédits d’impôt ou de subventions qui ne sont pas accordés aux voitures économes en carburant, son prix effectif sera artificiellement moindre. Elle demeurera moins économique dans la mesure où elle restera plus coûteuse à fabriquer. Il est alors possible que les gens achètent la voiture peu économique qu’ils n’auraient pas choisie sans les incitations gouvernementales.
Est-ce plutôt un choix en faveur de l’environnement ? Pas si sûr. Certes, la voiture électrique émet moins de dioxyde de carbone, mais des études démontrent que la réduction d’émissions n’est que marginale et n’a aucune incidence mesurable sur le climat. Il n’y a pas lieu d’encenser un véhicule électrique qui, selon l’Agence internationale de l’énergie, requiert six fois plus d’apports minéraux qu’un véhicule équivalent avec moteur à combustion interne. Les métaux dans les batteries de voiture électrique, tels le nickel, le lithium, le cobalt et le cuivre, sont toxiques, et leur extraction, transformation et élimination causent des dégâts environnementaux comme la destruction de forêts tropicales. De plus, les batteries sont encombrantes quand elles sont mises au rebut, et très peu de batteries lithium-ion des véhicules électriques sont recyclées.
Pic pétrolier
Il s’avère que les experts internationaux indépendants sont divisés sur la vitesse à laquelle les véhicules électriques branchés remplaceront les véhicules à carburant. Certains se sont trompés en estimant que la baisse du coût des véhicules électriques et des énergies renouvelables devait réduire la demande de pétrole dès 2020. Celle-ci a continué et continuera d’augmenter, selon le géant du pétrole et du gaz BP, au moins jusqu’à 2035, lorsque les véhicules électriques ne représenteront que 6 % du marché mondial, et non le tiers prévu par d’autres analystes qui misent sur la Chine, le plus grand marché de voitures branchées dans le monde.
Pourtant, une hausse du cours du brut causée par un accroissement de la demande de pétrole devrait être une aubaine pour les voitures électriques. Une contraction de la demande, engendrant une chute du prix pétrolier, ne les favorisera pas. C’est dire toute la contradiction à opposer l’électrique au combustible !
On s’inquiétait jadis du pic de production de pétrole, à partir duquel elle diminue à cause de l’insuffisance de gisements. Au lieu de cela, on s’approche aujourd’hui du pic de la demande de pétrole, d’où le monde aura de moins en moins besoin de l’or noir, en dépit des réserves encore conséquentes. C’est ce qu’affirme Dieter Helm dans Burn Out: The Endgame for Fossil Fuels (2017). Pour ce professeur d’économie, l’ère du pétrole s’achève pour trois raisons. D’abord, les restrictions d’émissions de carbone seront inévitablement plus sévères. Puis, l’industrialisation rapide de la Chine, qui a maintenu très hauts les prix des matières premières, dont ceux du pétrole et du gaz, touche à sa fin, avec pour résultat un fléchissement de la demande de ressources naturelles. Ensuite, une révolution technologique tous azimuts, transformant la production industrielle, les sciences des matériaux, la production, le stockage et la distribution de l’électricité, mènera à une électrification généralisée, grâce à un coût marginal de l’énergie nul, à l’instar de l’internet.
Deux énergies complémentaires
L’électricité à Maurice est largement produite à partir du charbon hyperpolluant et du mazout.
Dans cette optique, il faudra s’attendre à un effondrement des marchés des combustibles fossiles. Deuxième producteur mondial du pétrole, la Russie en sera affectée, étant très dépendante des revenus qu’il génère. Reste à savoir si le conflit russo-ukrainien continuera à maintenir le cours du brut au-dessus de 100 dollars le baril, alors que l’économie mondiale marque le pas et que la Chine se débat dans ses confinements stricts. Il se trouve, par ailleurs, que l’Ukraine est un grand producteur des harnais qui tiennent ensemble les nombreux câbles électriques d’une voiture. Comme quoi le marché des véhicules électriques ne dépend pas que de leur promotion pour prendre son essor.
C’est pourquoi on est dubitatif devant la conviction de la CEO de HSBC Bank (Mauritius) que « rendre la recharge solaire économiquement et techniquement viable pour les propriétaires de véhicules électriques est une étape essentielle pour placer Maurice sur la voie de devenir une plaque tournante pour les véhicules électriques ». Alors que le réseau électrique national est déjà à la limite du soutenable en période de pointe, le Central Electricity Board aura du mal à gérer le siphonnage du réseau par des milliers de voitures branchées aux bornes de recharge. Enfin, l’électricité à Maurice est largement produite à partir du charbon hyperpolluant (53,2% en 2020) et du mazout (28,1%).
Une petite île doit certainement encourager la voiture électrique, mais il faut se garder de l’idéaliser. Une idée sympa en théorie doit faire l’objet d’une évaluation honnête et complète pour savoir si elle est réaliste au regard des coûts, surtout que, dans le cycle de vie des matières premières, on a tendance à ignorer ou minimiser les vrais coûts de l’énergie.
Il y a des avantages et des inconvénients à toutes les formes d’énergie. L’énergie fossile et l’énergie solaire sont complémentaires et se substitueront lentement, selon le principe des vases communicants, une transition qui prendra du temps. A Maurice, entre le coup de pompe sur le marché de vente et une célébration en grande pompe dans les milieux universitaires, la voiture électrique mérite de passer à la vitesse supérieure, à toute pompe.
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