Par Amit Bakhirta

Alors que nous terminons cette année de reprise caractérisée par un environnement inflationniste élevé et persistant, alimenté par des perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale et des troubles géopolitiques, la fin d’une décennie de taux d’intérêt négatifs bas a stimulé une volatilité accrue des classes d’actifs dans le monde entier. Si, à l’échelle internationale, la croissance devrait rester modérée, la reprise du tourisme au niveau local a probablement soutenu la croissance libellée en roupies en 2022. 

Dans l’ensemble, l’île Maurice sort de cette pandémie matériellement affaiblie, notamment d’un point de vue fiscal. Plus nous allons resserrer notre politique monétaire, plus le bilan de la Banque de Maurice s’affaiblira, surtout si l’excès de liquidités en roupies et l’environnement accru des marchés internationaux maintiennent les rendements plus bas du côté des actifs tandis que le resserrement monétaire rend les passifs encore plus chers, prolongeant ainsi les pertes globales de la Banque centrale et affectant sa capacité à maintenir la stabilité des prix. Ainsi la stérilisation des mécanismes de politique monétaire reste un risque à contenir.

Croissance anémique du PIB

La croissance économique mondiale a été révisée à la baisse à maintes reprises en 2022, car la Chine est restée obstinée sur sa politique zéro covid, et un environnement inflationniste élevé et persistant a globalement tempéré la consommation intérieure du monde développé, d’où une croissance plus faible du PIB mondial prévue de 3,2 %. La croissance projetée pour 2023 sera encore plus faible et compréhensible, à 2,7 %, ce qui reste justifié compte tenu du resserrement de l’environnement monétaire mondial. Les risques de récession plus élevés, alimentés par un resserrement excessif, sont réels et les actions des banques centrales seront donc une considération macroéconomique clé, en particulier en 2023.

Maurice devrait connaître une croissance supérieure à 5,6 % en 2023 avec le tourisme, les services financiers, la construction, l’immobilier et d’autres secteurs clés soutenant la croissance économique. La relance du tourisme est la bienvenue, surtout après ces trois années pandémiques dévastatrices. Cependant, l’effet de base s’estompant en 2023, le contexte de maintien d’une croissance économique plus élevée devient encore plus compliqué, en particulier avec des taux d’intérêt de plus en plus serrés.

L’inflation mondiale à un tournant

Alors que Maurice termine 2022 avec une inflation d’une année sur l’autre oscillant autour de 12 %, l’importance est de contrôler l’inflation importée, et nous sommes donc favorables à une roupie plus serrée et plus forte à l’avenir. Les prix mondiaux des matières premières se sont considérablement refroidis et, comme prévu, nous pensons que nous sommes à un tournant de l’inflation mondiale.

L’indice Baltic dry Freightos a reculé d’environ 80 %, les prix mondiaux des matières premières de 30 % en moyenne, et les prix du pétrole et du gaz de 40 %. Avec une certaine normalisation attendue des prix mondiaux des matières premières, la base mathématique élevée de cette année devrait rester un pic relativement collant et donc nos perspectives positives pour l’inflation l’année prochaine, nonobstant tout incident géopolitique majeur à l’échelle mondiale. L’environnement mondial de la liquidité devrait encore se resserrer, car les conditions monétaires restent contraignantes.

Dans cet environnement de prix des matières premières sensiblement plus contraignant, le rythme du resserrement monétaire dans le monde est sur le point de souffler, on l’espère. Cependant, les banques centrales ont et sont susceptibles d’être en retard et les risques de resserrement excessif sont réels, ce qui pèsera invariablement sur la croissance du PIB, en particulier dans les pays développés.

Sinon, nous voyons la hausse des taux d’intérêt, même domestiques, s’arrêter à partir du deuxième trimestre 2023. Cela devrait contenir les risques de défaut de crédit dans l’économie et nous prévoyons donc que les prêts non performants resteront raisonnables tandis que l’extension du crédit pourrait se calmer, car l’accent se portera sur la qualité du crédit.

Gare à une baisse de notation de Moody’s 

Alors que la situation budgétaire risque de se compliquer de plus en plus, l’augmentation de la base du PIB soutient de meilleurs ratios dette/PIB et l’inadéquation des politiques macroéconomiques est en train d’être corrigée. 

Les risques d’une dégradation de la note souveraine de Moody’s sont réels et ne doivent pas être sous-estimés.

Compte tenu de l’environnement inflationniste plus froid attendu en 2023, nous prévoyons que les recettes budgétaires resteront soumises à d’énormes tensions. Cela se voit clairement dans la stratégie nationale de tarification de l’essence, car le déficit de recettes budgétaires est susceptible d’être plus élevé que prévu dans le budget (par conséquent, le risque soutenu de baisse de notation). 

Cependant, avec la difficulté d’afficher des améliorations marquées de l’indépendance et de la qualité de nos institutions, les risques d’une dégradation de la note souveraine de Moody’s sont réels et ne doivent pas être sous-estimés en raison de l’importante instabilité financière et socio-économique qui pourrait en résulter.

Les ramifications d’une telle catastrophe économique pourraient bien être largement sous-estimées à ce stade, surtout dans un environnement où des coûts d’emprunt plus élevés sont susceptibles d’alourdir davantage le fardeau de la dette. Gérer un double déficit du compte courant et du déficit budgétaire est toujours délicat et, espérons-le, la nécessité d’un assainissement budgétaire pour les 2-3 prochaines années sera dûment prise en compte.

Pour une roupie beaucoup plus forte

Nous sommes favorables à une roupie beaucoup plus forte en 2023, soutenue par des réponses de politique monétaire adéquates et un environnement de devises étrangères plus confortable, particulièrement soutenu par l’augmentation des revenus du tourisme, bien qu’en termes de roupies dévaluées. 

Le resserrement des différentiels de taux d’intérêt entre Maurice et ses principaux partenaires commerciaux est une variable positive. Cependant, nous sommes également favorables à un euro plus fort, car le dollar américain est susceptible de perdre sa fonction de valeur refuge à partir de ces niveaux historiquement très élevés.

En cas de reprise de l’euro, un nouvel affaiblissement de la roupie cependant ne doit pas être totalement écarté, malgré des différentiels beaucoup plus serrés. Tant que la roupie se stabilise et se renforce par rapport au dollar, nous pensons que l’inflation par les coûts peut être raisonnablement maîtrisée. Cela étant dit, nous pensons que la Banque de Maurice devrait suspendre sa politique de resserrement d’ici avril 2023, alors qu’elle évalue la stabilité des prix. Les risques de resserrement excessif, selon nous, seront probablement minces à L’ile Maurice.

Année 2023 tiède

2023 restera donc probablement une année tiède en termes de croissance économique à l’échelle mondiale et invariablement à Maurice également. Les dépenses d’infrastructure soutenues ont leurs limites, mais surtout la consommation intérieure, à un moment donné, connaîtra probablement une décélération marquée, surtout si la reprise économique de la Chine coïncide avec le retour des matières premières mondiales vers les sommets de 2022 (bien que nous estimions que cela soit peu probable à ce stade).

Avec un certain nombre de troubles géopolitiques à l’appui, nous craignons que la volatilité accrue ne soit une caractéristique permanente de 2023, et donc l’opportunité économique inhérente également. Ainsi, une volatilité accrue s’accompagne d’énormes opportunités…

Amit Bakhirta
Amit Bakhirta est le fondateur et CEO d’Anneau, une société de services financiers (www.anneau.co).