Par Mubarak Sooltangos
Government Servant, Civil Servant et fonctionnaire : ces trois mots sont interchangeables invariablement dans le langage courant. Pourtant, ils sont tous différents, si on va aux sources.
Un Government Servant est un nom mal approprié (un misnomer) parce qu’il a une connotation de quelqu’un qui sert le gouvernement, alors que et le gouvernement et ses employés devraient servir la population, qui les paye à travers les diverses taxes qu’on lui prélève. L’appellation Civil Servant est le plus appropriée parce qu’elle parle de service à la population civile, autrement dit, à Monsieur tout le monde.
Mais en vérité, surtout à Maurice, les employés du service public servent exclusivement le gouvernement quand ce dernier a raison, et malheureusement, sciemment pour la plupart, aussi quand il a tort. On voit très peu d’employés qui ont une conscience assez forte pour refuser de se prêter à des pratiques peu recommandables. Ou alors, les fortes têtes parmi eux sont souvent mis à l’ombre, condamnés à gratter du papier ou transférés très loin de leur lieu de domicile en guise de punition. Il y a aussi, malheureusement, une bonne frange qui accepte volontiers de tremper dans des pratiques douteuses, parce que cela apporte de la « protection », des bourses, des sièges sur les conseils d’administration et des promotions. Comme je le précise toujours, je parle de tous les gouvernements qui se sont succédés, car je ne suis ni politicien, ni agent politique, ce qui me permet de préserver mon indépendance d’esprit.
Venons-en au terme fonctionnaire. C’est là que se trouve la racine d’une grande partie de nos malheurs. Le terme dénote quelqu’un qui a une fonction d’exécution, et il s’efforce d’exécuter sa tâche selon les règles établis par d’autres, le plus rapidement et le plus sommairement possible pour qu’il puisse s’en débarrasser à 16h00 pile et quitter son poste de travail. Le fonctionnaire type n’agit pas, il fonctionne comme un automate, alors qu’agir sous-entend une réflexion.
La fuite vers le confort
On aurait tort de penser que le fonctionnariat se limite au service public. Cette mentalité a aussi fait des racines dans le secteur privé depuis environ une quinzaine d’années. La seule différence est que l’employé du service public est embauché comme fonctionnaire, alors que dans le privé, on le force à devenir fonctionnaire. Un fonctionnaire est censé ne prendre aucun risque, et cela cadre parfaitement avec le service public où il n’y a aucune raison de prendre des risques.
Par contre, le secteur privé est par nature concurrentiel, puisque chaque entreprise a des concurrents contre lesquels il faut se battre pour donner un meilleur service clientèle destiné à attirer plus de clients. Chaque entreprise a aussi l’obligation de mieux vendre, de donner plus de crédit parfois, d’essayer constamment de faire les choses différemment des autres, et surtout d’innover. Or toute cette panoplie de tâches demande de la réflexion et de la prise de risque. Mais en réalité, ce qui se passe depuis 15 ans, c’est la fuite vers le confort qui réside dans la prise d’un minimum de risque possible, de peur de se faire sanctionner en cas de perte d’argent, pour des raisons diverses, toutes liées au degré de risque que l’on prend.
C’est ainsi que le secteur privé, surtout les entreprises liées à la finance, comme les banques, les compagnies d’assurances, les sociétés de location-vente et de crédit à la consommation, se sont graduellement muées en un ensemble plutôt homogène du point de vue d’attitude, où les tâches project-driven ont été remplacées par des tâches procedure driven. Ce que cela veut dire, c’est que l’employé n’a plus une vision globale de ce qu’il fait, mais se cantonne à une tâche spécifique, réglementée à l’extrême, dans une division du travail exagérée, où il n’a de vue que sur ce qu’il fait.
Dans ces conditions, il n’est plus question pour l’employé de se battre pour produire un résultat ou mener un projet à son but, et il se cantonne dans la tâche qui lui est confiée sans aucune notion de ce que vise l’entreprise, notamment réaliser des profits. Où est la motivation de faire quelque chose en plus de ce qu’on lui demande, ce qui demande une vision progressiste qui a en point de mire la recherche de la performance et de la rentabilité ? C’est dans une telle situation qu’on développe une aversion pour le risque et qu’on devient tout simplement fonctionnaire.
C’est avant tout la responsabilité d’un CEO de connaître le pouls de sa clientèle.
Le travail de réflexion devient la responsabilité des hauts cadres, et là où le bât blesse, c’est que ce cadre, qui est supposé réfléchir, le fait en toute autarcie, loin de ses employés. De toute façon, que peut-il tirer de ses subordonnés en termes d’idées novatrices quand ceux-ci sont cadenassés dans un rôle de fonctionnaire où leur capacité de réflexion se sclérose petit à petit pour finalement disparaître ?
Examinons un autre impératif, celui de recueillir des informations sur l’état d’esprit des clients pour connaître leur degré de satisfaction ou de réprobation du service et des produits qui leur sont offerts. C’est avant tout la responsabilité d’un CEO de connaître le pouls de sa clientèle. Or les employés qui sont en contact direct avec la clientèle sont ceux qui sont plus ou moins au bas de l’échelle. Combien de CEO prennent-ils la peine de rencontrer ne serait-ce qu’un échantillon de cette catégorie d’employés ? Pour avoir ce renseignement, il se fie à ce que lui rapportent ses collaborateurs plus ou moins directs.
Est-ce qu’un chef de service (un middle-manager) a la lucidité de pouvoir extraire ce qui est vraiment pertinent d’une masse de données ayant trait à la clientèle ? S’il le pouvait, il serait lui-même CEO. Quelqu’un, client d’une entreprise, a-t-il déjà essayé de parler au téléphone à son CEO (sans parler de l’impossible, qui est de le rencontrer) ? Quiconque essaye de parler à un CEO est soumis à un barrage de questions venant de la secrétaire de direction, et celle-ci fait tout pour que le client n’ait pas de contact direct avec son patron, parce qu’il risque de déranger et de mettre le CEO en situation difficile.
Le monologue du CEO
Il y a des CEO qui prétendent favoriser la communication. Pour cela, ils réunissent, à intervalles plus ou moins réguliers, l’ensemble de leurs employés pour rester en contact. Dans cet ensemble hétéroclite, il y a des plantons, des employés connus comme « le staff », des techniciens, des comptables, des vendeurs et des cadres. Combien d’entre ceux-là parleront sans inhibition et librement ? Est-ce qu’un employé ou un groupe d’employés qui a des problèmes avec leur chef de service peut parler librement en présence de ce dernier ? Qui parle finalement dans ce genre de réunion ? Les cadres seulement. Et pour le reste, c’est un monologue du CEO, autrement dit une communication entièrement top-down en oubliant totalement le volet bottom-up, alors que les deux, combinés, auraient donné lieu à un véritable dialogue d’où peut jaillir la lumière. La communication efficace doit toujours se faire en petits groupes raisonnablement homogènes du point de vue hiérarchique, et c’est là où les informations s’échangent librement.
Voilà l’état de nos structures gouvernementale et privée, ce qui explique la quasi faillite de tout notre système. La prise de risques calculés, la délégation de certains pouvoirs au personnel, la modération dans la sanction des erreurs liées à la prise de risques, le dialogue constant, la motivation du personnel en le tenant régulièrement au courant de l’état de santé de l’entreprise, et le contact permanent avec la clientèle sont des ingrédients de succès qui ont fait leur preuve. Un CEO qui reste caché dans son bureau, auquel les cadres sont tenus de mettre en copie leurs emails sans grande importance stratégique, soi-disant pour le tenir informé, qui a une aversion presque d’avoir à traiter les doléances des clients, et qui, pour la forme, fait un monologue mensuel à l’ensemble de son personnel, est tout au plus un fonctionnaire glorifié qui ne produit pas grand-chose.
Est bon gestionnaire celui qui fait du « management by walking around », qui est à l’écoute de son personnel (les détenteurs d’information) et de sa clientèle, qui inspire ses employés à réfléchir, qui récompense les idées novatrices et qui réussit à motiver son personnel autrement que par l’argent. C’est possible, puisque je l’ai personnellement fait, et avec succès. Heureusement qu’on ne dit plus que Maurice est le tigre de l’Océan Indien. Ce genre de discours, en 2022, ferait rire plus d’un.
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