Par Amit Bakhirta

L’île Maurice enregistre un double déficit, fiscal et du compte courant depuis des décennies maintenant. Le déficit budgétaire s’est certes amélioré (de 13,6% du PIB en 2020 à environ 6% l’an dernier. Cette année, ANNEAU estime une amélioration marginale à environ 5,9% du PIB. Le déficit courant a cependant explosé, de 3,9% en 2018 à 14,3% du PIB.

L’exécution d’un budget déficitaire (budgets à effet de levier) n’est pas un problème tant que son effet de levier peut se faire sentir de manière exponentielle dans la croissance économique (croissance du PIB) et la croissance de la prospérité sociale (il va sans dire qu’un effet de levier prudent implique une capacité de remboursement soutenable sur le long terme).

Un déficit budgétaire de 3 à 6% du PIB couplé à une dette d’environ 90% du PIB (estimations d’Anneau pour 2022 sur la base d’une croissance économique de 3,9% en 2022) pour une croissance économique inférieure à 4% alors que l’inflation tourne déjà à 10,7% (à mars 2022). Il y a sûrement de la place à amélioration, et cet affermissement nécessite humblement un changement de paradigme vers le « long termisme » dans l’exercice de budgétisation gouvernementale, la budgétisation pluriannuelle. Ce travail approfondit la compréhension de ce processus alternatif de la budgétisation d’un pays souverain.

Comprendre la budgétisation pluriannuelle

Un budget pluriannuel est un exercice de budgétisation et le document résultant qui autorise les crédits d’un gouvernement (les dépenses récurrentes et en capital prévues) et les revenus (impositions, frais entre autres) prévus pour deux exercices budgétaires consécutifs ou plus (idéalement pour 5 ans – la durée d’un mandat législatif). Ce document peut être un budget biennal, un budget triennal ou un budget quinquennal. Un budget pluriannuel peut également consister en un budget biennal avec un ou deux plans financiers qui servent de plans de dépenses provisoires pour les exercices ultérieurs (c’est-à-dire que les crédits de la première année sont officiellement adoptés tandis que les crédits de l’année suivante ne le sont pas).

Les types courants de budgets pluriannuels de plus en plus utilisés par les gouvernements à travers le monde peuvent être divisés en deux styles principaux : le plan de dépenses est approuvé individuellement chaque année ; et le budget pluriannuel classique (traditionnel) est un plan de dépenses comportant des crédits détaillés et des recettes prévues pour deux exercices budgétaires ou plus. Le plan de dépenses et le plan de recettes pour chaque exercice budgétaire sont approuvés en même temps et doivent corroborer avec les priorités stratégiques de l’exécutif (du pays et de son peuple, pour éviter tout doute).

Cadre budgétaire à moyen terme

Ces dernières années, les systèmes financiers de nombreux pays ont subi des changements qui ont entraîné la prolongation de la période de planification budgétaire. Le modèle classique de budgétisation publique, axé sur un budget annuel, est étendu pour inclure des périodes successives de plusieurs années. Le monde a connu un regain d’intérêt pour la budgétisation pluriannuelle. De plus en plus, les gouvernements du monde entier se demandent maintenant si un passage de la budgétisation annuelle à une période plus longue est souhaitable.

Également connu sous le nom de cadre budgétaire à moyen terme (Medium Term Budget Framework, ou MTBF), la budgétisation pluriannuelle sert à mieux reconnaître l’impact budgétaire des politiques en intégrant le cycle de formulation du budget annuel au moyen terme (trois à cinq ans) par rapport au processus de planification. Idéalement, il concilie le coût des activités existantes (dépenses récurrentes) et nouvelles (principalement les dépenses en capital) avec les ressources disponibles à moyen terme. Il est en fait utilisé de diverses manières par les gouvernements pour améliorer la discipline budgétaire sur une plus longue période.

Dans la mise en œuvre de la budgétisation pluriannuelle, des prévisions macroéconomiques précises sont d’une importance capitale.

Le processus d’estimation prévisionnelle de l’Australie est un exemple de longue date d’un MTBF indicatif qui essaie de prédire quels seront les budgets sur 4 à 5 ans. D’autres pays, comme les Pays-Bas et l’Autriche, utilisent un plafond budgétaire contraignant qui limite les nouveaux programmes. En fait, les déterminants institutionnels clés de la Banque mondiale pour le succès des MTBF se concentrent sur la question de savoir si une juridiction s’est engagée envers la nouvelle approche de la budgétisation, l’adaptabilité organisationnelle, la capacité technique et les institutions pour le faire avec succès, et si elles disposent de systèmes budgétaires sains et des réformes de la gestion financière bien ordonnées.

Des plans stratégiques aux processus de planification financière

L’intérêt pour la budgétisation pluriannuelle a été suscité en partie par la prise de conscience (naturellement et instinctivement, la prise de conscience est dure et demande des introspections empiriques) par les gouvernements de la difficulté de lier les plans stratégiques à long terme aux processus de planification financière dans les cycles budgétaires annuels. La budgétisation pluriannuelle offre aux gouvernements la possibilité de réduire les heures de travail (mais aussi des ressources financières) consacrées à l’élaboration du budget chaque année et de réaffecter cet effort au suivi, à l’analyse et à l’innovation. On convertit également la budgétisation annuelle d’une tâche technique basée principalement sur l’analyse des augmentations de dépenses en une tâche de planification en forçant la prise en compte des objectifs à long terme (le long termisme).

Mais la budgétisation pluriannuelle peut ne pas convenir à tout le monde. Les gouvernements locaux désireux de mettre en œuvre un budget pluriannuel sont confrontés à des questions déroutantes : quels sont les différents types de budgets pluriannuels ? Comment la budgétisation pluriannuelle est-elle affectée par la stabilité financière ? Quels facteurs politiques et administratifs doivent être pris en compte lors de l’exécution du budget pluriannuel ? Comment le budget pluriannuel est-il lié à d’autres processus de planification financière (par exemple, l’audit, l’émission de dettes) ? Comment la mise en œuvre d’un budget pluriannuel affectera-t-elle les politiques et processus budgétaires existants ? La budgétisation pluriannuelle réduit-elle la flexibilité politique et/ou administrative ?

Un budget pluriannuel peut être considéré comme un plan de dépenses complet, liant les priorités des pouvoirs publics (indirectement, ceux du peuple) aux décisions d’allocation des fonds publics. Il est préparé avec un horizon temporel de plus d’un an, sur la base du cadre budgétaire soumis aux prévisions macroéconomiques.

Le diable est dans l’exécution

Dans la mise en œuvre de la budgétisation pluriannuelle, des prévisions macroéconomiques précises sont d’une importance capitale. L’expérience de nombreux pays à cet égard révèle quelques inconvénients dans le processus de prévision. Premièrement, en raison de leur optimisme excessif, de telles prévisions ne fournissent qu’une prévisibilité limitée de la politique budgétaire, ce qui les rend plutôt inexactes. Deuxièmement, ces prévisions sont rarement perçues de manière rationnelle par le public, qui est conscient de l’utilité limitée des projections présentées. Les estimations des paramètres macroéconomiques publiées par les gouvernements sont souvent critiquées au motif qu’elles sont motivées par des considérations politiques.

Pour cette raison, ces prévisions risquent d’être basées sur des hypothèses irréalistes qui ne reflètent pas le véritable potentiel de l’économie. Il est également souligné que pour certains pays de la zone euro, l’optimisme injustifié dans l’élaboration de prévisions macroéconomiques a été la principale cause du déficit excessif. Par conséquent, il existe un soutien croissant pour l’opinion selon laquelle le processus de prévision des paramètres macroéconomiques des finances publiques devrait être réalisé par des institutions indépendantes afin de garantir que le cadre budgétaire établi est libre de tout motif politique et assurant ainsi la responsabilité privée de ces projections macros.

Une perspective d’un an ne fournit pas une base fiable pour une budgétisation précise.

Budget annuel versus budget pluriannuel

Bien que le budget annuel adoptée reste le document principal définissant la politique financière du pays, il convient de rappeler que la plupart des décisions budgétaires dépassent le cycle annuel. À cet égard, une perspective d’un an ne fournit pas une base fiable pour une budgétisation précise. L’une des principales lacunes du budget annuel traditionnel est qu’il conduit malheureusement quelquefois à la « myopie » (oui, même dans les entreprises privées). Au sens étroit, le budget pluriannuel peut donc être compris comme un document précisant les recettes et les dépenses budgétaires dans une perspective à long terme.

Cette politique est appliquée aux États-Unis où les autorités étatiques et locales exécutent des budgets biennaux. En Israël, un budget de deux ans est juridiquement contraignant depuis 2009, remplaçant la règle de l’adoption des budgets des États pour un an.

Dans la pratique, pluriannuel signifie moyen terme, c’est-à-dire une perspective couvrant pas moins de 2 ans et pas plus de quatre ans au-delà de l’année budgétaire. Surtout dans les pays en développement (comme Maurice), compte tenu de la fluidité de la situation, une perspective couvrant 2 ans au-delà de l’exercice budgétaire est probablement appropriée. La particularité des plans budgétaires pour les années à venir est qu’ils sont moins détaillés par rapport au budget de l’année suivante.

Parallèlement, lors de ces budgets pluriannuels, une grande importance est accordée à la définition et la mise en œuvre des objectifs stratégiques du pays. De cette façon, la budgétisation publique devient une partie inhérente du processus de gestion du pays. Ainsi, la budgétisation pluriannuelle permet aux planificateurs budgétaires de concentrer leur attention sur les changements structurels réalisables (qui sont essentiels à la pérennité de Maurice, à ce carrefour de son histoire) visant à accroître l’efficacité de l’utilisation des fonds publics.

La mise en œuvre de procédures budgétaires pluriannuelles permettra de mettre en pratique les projets annoncés précédemment selon des règles transparentes. La budgétisation pluriannuelle favorise une dépense rationnelle des fonds publics. La possibilité d’un examen systématique des priorités de dépenses et des engagements pris par les autorités gouvernementales rendra le budget plus fiable et transparent.

La budgétisation pluriannuelle favorise une dépense rationnelle des fonds publics.

En outre, la budgétisation pluriannuelle oblige les différentes agences gouvernementales à coopérer à la coordination des activités fiscales visant à la réalisation des objectifs à long terme. La mise en œuvre du concept de budgétisation pluriannuelle réduira, dans une perspective plus longue, le risque macroéconomique du pays, entraînant une baisse des coûts de financement des fonds publics (diminution du risque de prime sur le marché obligataire), et affectera les décisions microéconomiques, notamment en ce qui concerne la budgétisation des investissements.

Avantages et inconvénients d’un budget pluriannuel

Le bien-fondé de la transition d’un budget annuel à un budget pluriannuel comprend la possibilité de mettre un accent beaucoup plus poussé sur la réalisation des plans gouvernementaux stratégiques à plus long terme, en particulier concernant les infrastructures, le logement social, les soins de santé, les réformes réglementaires, éducatifs, et il aide ainsi à améliorer la planification stratégique à long terme.

Lors de l’examen des demandes de budget, les gouvernements devront désormais décider si la demande doit être budgétisée pour plus d’un an (plus de réalisme que de « bruiterie »), et si le programme ou service budgétisé est durable et souhaitable au cours de cette période. Elle favorise également l’anticipation des problèmes (proactivité intellectuelle). En tant que telle, la budgétisation pluriannuelle encourage les gouvernements à rester attentifs aux changements dans les schémas de financement qui pourraient conduire à des surprises indésirables, et elle leur donne la possibilité de réagir avant que des problèmes ne surviennent (à la Sri Lanka).

Par ailleurs, la budgétisation pluriannuelle permet d’éviter des épuisements budgétaires du personnel (dite « burnout » de certains employés dans la fonction publique), car le personnel budgétaire travaillera plus dur la première année d’un budget pluriannuel, mais les années suivantes cela leur permet de se concentrer sur la planification stratégique, l’analyse, la recherche ou la formation plutôt que sur l’élaboration du budget. L’exercice peut améliorer les prévisions de revenus, car les budgets pluriannuels nécessitent des prévisions qui vont au-delà de la première année, et le personnel budgétaire adoptera probablement une approche prudente dans ses projections de revenus.

Le fait de pouvoir comparer les projections aux recettes réelles au cours de la deuxième année et au-delà aidera le personnel à faire des projections plus précises avec le temps. La planification à long terme offre aux gouvernements locaux la possibilité de présenter leur vision aux citoyens et d’obtenir leurs commentaires sur les priorités budgétaires qu’ils ont choisies. Cet exercice peut donc aussi aider à améliorer les opportunités d’engagement des citoyens mauriciens.

Malheureusement, la mise en œuvre d’un budget pluriannuel présente également des inconvénients qui peuvent dissuader les gouvernements de participer au processus. Certains des inconvénients de la budgétisation pluriannuelle doivent être pris en compte, parmi lesquels l’incapacité de faire des projections précises de dépenses et de recettes. Le climat économique ou politique existant pourrait rendre difficile de prévoir les dépenses et les recettes pour les prochains exercices budgétaires.

De nouvelles lois seront probablement nécessaires, car l’introduction d’un budget pluriannuel peut nécessiter l’introduction de nouvelles lois, régulations ou politiques pour soutenir la transition du gouvernement vers ce type de budgétisation. Certains ministères peuvent ne pas être en mesure de prévoir des augmentations ou de planifier pour plusieurs années et auront besoin d’aide pour participer à un processus budgétaire pluriannuel. La transition vers un budget pluriannuel peut être difficile pour certains gouvernements, car elle augmente la charge de travail du personnel responsable de la budgétisation, en particulier pendant la première année d’élaboration d’un budget pluriannuel.

Le manque d’innovation est la plus grande faiblesse d’une nation

L’identification des raisons du déséquilibre fiscal et du compte courant (déficits jumeaux) existant à Maurice montre qu’il est nécessaire d’introduire des solutions institutionnelles du processus budgétaire (utilisons la taille relativement petite du pays à notre avantage). Dans quelle mesure l’application de la budgétisation pluriannuelle profite-t-elle aux dépenses budgétaires et à son impact sous-jacent d’une croissance durable du PIB reste à être testé empiriquement, mais nous devons commencer quelque part ! L’impact est susceptible d’être un facteur qui renforce la discipline budgétaire (un surplus budgétaire est possible si on commence à favoriser aussi les voies d’augmentations de recettes fiscales) et favorise l’efficacité et la transparence des finances publiques. Devrait-il servir à améliorer la qualité des paramètres macroéconomiques tels que le taux de croissance réel du PIB, le ratio du déficit des administrations publiques au PIB, le ratio de la dette publique au PIB. Cela pourrait valoir la peine d’essayer.

Notre société aura de plus en plus besoin de chiffres financiers ciblés pour évaluer les performances d’un exécutif pendant son mandat. Cela ne peut pas être uniquement des chiffres sociaux et/ou la capacité de saper et/ou de critiquer chaque mouvement de l’adversaire. Les pays voisins, compétitifs, prennent de l’avance sur Maurice en termes de création de richesse (accumulation du PIB nominal). Pour combien de temps encore ?

Les humains détestent le changement, malgré le fait que ce soit l’essence même de leur évolution, et cela depuis des millénaires. Ils adorent le confort, la stabilité et c’est pourquoi ils se laissent distancer. C’est en partie la raison pour laquelle, bien que la prospérité économique et les progrès technologiques dans de nombreux domaines aient entraîné des sauts importants dans notre niveau de vie, nous devenons beaucoup trop « confortables » et « gras ». D’autres continuent de prendre des risques, de courir, d’expérimenter, d’innover et nous distancent, ce qui explique, entre autres, pourquoi l’inégalité des revenus et des richesses s’est creusée bien que le niveau de vie se soit amélioré.

Alors que d’autres ambitionnent de coloniser l’espace, nous continuons à construire des chemins… Améliorons au moins notre exercice budgétaire avec du long termisme.

Amit Bakhirta
Amit Bakhirta est le fondateur et CEO d’une société de services financiers, Anneau (www.anneau.co.