Par Mubarak Sooltangos

Après avoir démontré, à l’aide de toutes les illustrations possibles, l’inutilité, voire la toxicité de l’intérêt dans une économie nationale, les lecteurs s’attendent à ce que je propose une alternative plausible et réaliste pour faire face aux problèmes contemporains du monde, pour lesquelles les théories économiques de notre ère n’ont simplement pas de solution. Ceci n’est pas un article sur l’Islam, mais sur l’application économique de ses principes pour un ordre économique meilleur grâce à un changement de paradigme.

Je propose une alternative au capitalisme envahissant et dominateur et un guide pour une politique macroéconomique axée vers le bien-être de tous les citoyens.

Ci-dessous sont les piliers du système économique islamique dont la philosophie de base est de reconnaître à tout individu le droit de produire de la richesse, et de s’assurer, d’une part que cette richesse soit équitablement distribuée et, d’autre part, que le monopole du capital accumulé, qui mène souvent à l’exploitation de ceux qui sont au bas de l’échelle, soit brisé ou tout au moins tenu sous contrôle : 1) la libre entreprise, 2) une forte dose de socialisme, 3) la dilution de l’effet négatif du monopole du capital accumulé au moyen d’un impôt sur le capital, 4) l’interdiction de la pratique de l‘intérêt, 5) le code islamique de l’héritage.

L’échec du communisme et du capitalisme

D’emblée, une précision s’impose : l’Islam ne s’apparente ni au capitalisme ni au communisme. La référence au communisme est utile parce que ce système a assujetti un tiers de la population mondiale pendant 55 ans jusqu’à la fin des années 1990, et qu’il est précisé plus haut que le système Islamique contient une forte dose de socialisme, ce qui peut prêter à confusion. L’Islam relègue le communisme au rang d’une idéologie tout à fait impersonnelle, dépourvue de rationalité qui ne favorise pas l’effort pour travailler dur et gagner davantage.

Le communisme nie le droit de l’individu à la propriété des moyens de production et à avoir une pensée indépendante, l’essentiel de la pensée économique et sociale étant la prérogative d’un groupe distinct de dirigeants. Il prône des droits identiques et un salaire égal pour tous et étouffe ainsi toute aspiration du citoyen ambitieux à travailler plus dur et de réfléchir à un niveau supérieur pour sortir du lot et gagner plus au moyen de son travail. Il n’est pas étonnant que l’idéologie communiste, qui a présidé à la destinée d’un tiers du monde pendant des décennies, ait été rejetée par ses anciens défenseurs comme étant irréaliste et impraticable.

Le capitalisme et le recours à la suprématie de l’argent, qui s’est octroyé un statut de super facteur de production, règnent aujourd’hui en maître sur le monde. Cependant, ils ont pour effet pervers de créer de plus en plus d’avidité pour l’argent, pour servir des ambitions personnelles, que ce soit dans l’accumulation des richesses sous forme de biens et de moyens de production ou dans la tentation de faire travailler les gens pour moins d’argent afin d’être de plus en plus productifs pour l’entrepreneur.

L’échec du capitalisme est flagrant. Il n’y a jamais eu une telle domination des riches que dans le monde actuel. Les détenteurs de capital ont même réussi la gageure de faire les pauvres voter pour eux à travers des dirigeants politiques de leur choix. La célèbre théorie de Milton Friedman, « la combinaison de la démocratie et du capitalisme est le meilleur système que le monde ait eu jusqu’à présent parce qu’elle sépare une fois pour toutes le pouvoir politique du pouvoir économique », a été battue en brèche. Elle n’a aucun sens dans notre monde contemporain puisque le grand capital a tout simplement acheté et rendu muette la démocratie et l’a pervertie pour servir ses desseins. Le pouvoir politique et économique est plus que jamais dans des mains communes.

Le modèle économique de l’Islam

Il est basé sur la libre entreprise. La confusion entre libre entreprise et capitalisme se fait facilement si l’on se tient à un raisonnement superficiel. Au fait, le capitalisme n’est pas un système économique en soi. C’est un état d’esprit qui a accaparé et qui surfe sur les valeurs nobles de la libre entreprise. Il suffit de rechercher le mot « capitalisme » dans n’importe quelle encyclopédie, et on verra toute une littérature sur la libre entreprise.

L’Islam reconnaît le droit à tout individu ou collectivité de posséder des moyens de production selon le principe de la libre entreprise, notamment des propriétés foncières, et, de manière générale, tout bien licite que l’argent peut acheter. C’est la base sur laquelle l’effort, la réflexion approfondie et l’attitude de prise de risque sont encouragés en vue de produire plus et de gagner plus. Produire plus se traduit par la croissance économique, l’emploi, l’épargne et l’investissement.

Il va de soi que la libre entreprise génère le pouvoir financier entre les mains des producteurs, et c’est là que l’Islam diffère fondamentalement du capitalisme. Ce dernier n’a rien à proposer pour la répartition équitable de la richesse produite. Sa politique budgétaire est imparfaite et inadaptée aux besoins de la société qui demande une standardisation relative du niveau de vie des citoyens pour qu’il n’y ait pas d’exclus et des laissés pour compte du développement, ce qui est à la base des problèmes du monde contemporain.

La seule mesure économique que propose le système capitaliste pour que la société dans son ensemble profite soi-disant de la richesse créée par les divers acteurs économiques est un impôt accru sur les revenus relativement élevés et sur les bénéfices des sociétés. Assez paradoxalement, elle a en même temps créé des systèmes d’évasion fiscale pour les puissants en permettant de produire dans certains pays et de payer des impôts dans d’autres pays à des taux dérisoires. Maurice est bien placé pour apprécier cette injustice faite à des gens qui sont à la base de la production, mais qui ne retirent que très peu de bénéfices de leurs efforts, pour eux et pour leur pays.

La Zakat (impôt sur le capital)

La Zakat est le prélèvement d’un impôt sur le capital accumulé, tant pour les particuliers que pour les entreprises, au-dessus d’un seuil minimum. Le seuil exempté de zakat, pour l’individu, englobe, parmi d’autres, sa résidence et ses nécessités de base. La zakat annuelle qui est prélevée sur les biens (au-delà d’un minimum), les liquidités et les soldes en banque inutilisés depuis un an et les fonds de commerce est d’une moyenne de 2,5 % de leur valeur.

Par décret, elle ne peut être utilisée que pour soulager la pauvreté, et rien d’autre. Dans un pays où la zakat est institutionnalisée, elle doit être payée à l’État pour être utilisée pour le bien-être des démunis, notamment à travers le paiement des allocations de chômage, des pensions d’invalidité, des pensions de vieillesse et de veuvage, du logement, des soins médicaux gratuits, des subventions pour les produits de première nécessité consommés par ceux au bas de l’échelle et dans l’éducation subventionnée ou gratuite (entre autres).

Son quantum a été historiquement de 2,5% par an, mais ce pourcentage n’est fixé par aucun décret Coranique, ce qui signifie qu’il peut être varié en fonction des besoins nationaux. Même dans les pays riches, où la pauvreté peut être marginale, la zakat ne peut être abandonnée. Tout excédent par rapport aux besoins d’une année doit être conservé dans des fonds de réserve pour les besoins futurs, au fur et à mesure de leur apparition.

Le grand capital a acheté et rendu muette la démocratie et l’a pervertie pour servir ses desseins.

Dans tous les pays, l’État a besoin d’argent pour financer son budget courant, son budget d’investissement, et celui de l’État-providence (welfare state). Le prélèvement de la zakat règle, une fois pour toutes, le problème des dépenses sociales, ce qui signifie que les autres revenus fiscaux de l’État peuvent être entièrement affectés au fonctionnement des services gouvernementaux et au financement des investissements publics. Un casse-tête majeur est ainsi éliminé pour les ministres du budget. Étant donné que la zakat est destinée uniquement aux pauvres, il va sans dire que l’Islam n’exclut pas le prélèvement de l’impôt sur le revenu et sur les profits des sociétés ou la Taxe sur la Valeur Ajoutée, qui sont des impôts nécessaires pour financer les dépenses courantes du gouvernement, en dehors de l’aide sociale.

On est en mesure de comprendre maintenant qu’aucun individu ou entreprise n’a intérêt à conserver des actifs inutilisés, et cela inclut l’argent en banque. Tout actif non utilisé, outre de ne rapporter aucun revenu, deviendra progressivement plus lourd à conserver en raison du paiement annuel de la zakat. Cela force l’investissement en obligeant les propriétaires d’actifs à les mettre dans le cycle productif, favorisant ainsi la croissance ainsi que la création d’emplois, tout en augmentant les revenus des détenteurs de capital (financier ou autre). La Zakat est le premier outil économique, dans le système islamique, destiné à produire encore plus de richesse et à la distribuer équitablement.

L’interdiction de l’intérêt

L’Islam interdit l’intérêt comme moyen de gagner de l’argent en restant inactif et sans prendre de risque. L’islam encourage l’investissement dans des activités productives, d’où l’élément de risque, et il croit au partage approprié des bénéfices (et, au besoin, des pertes) entre les détenteurs de capital et ceux qui ont des idées de business à faire matérialiser. Les taux d’intérêt fixés à l’avance ne favorisent pas une telle répartition équitable.

Lorsqu’un entrepreneur emprunte sur intérêt auprès d’un prêteur, (qu’il y ait une intermédiation bancaire ou pas), il y a forcément un déséquilibre entre les revenus de l’activité financée et le taux de rendement du prêt. Soit l’entrepreneur fait des profits très élevés et n’en paie qu’une petite partie au prêteur sous forme d’intérêts, soit il fait un profit marginal (ou pire, une perte) et paie un pourcentage d’intérêt indûment élevé, fixé à l’avance, au prêteur. En plus, l’emprunt sur intérêt est, à la base, un acte de spéculation sur les bénéfices non encore réalisés.

La définition de la monnaie

Si on examine la définition de l’argent, on découvrira l’irrationalité de la pratique de l’intérêt. La monnaie a quatre définitions universellement acceptées, notamment : 1) un étalon par lequel les valeurs de différentes choses entre elles peuvent être mesurées et comparées, 2) un moyen de paiement généralement accepté pour payer l’achat de biens ou de services (legal tender), 3) un intermédiaire d’échange de biens et de services, 4) une réserve de pouvoir d’achat.

Force est de constater que les trois premières fonctions ne sont qu’administratives et ne donnent à l’argent qu’un rôle d’instrument. Peut-on réclamer une rémunération, exprimée en pourcentage sur un simple instrument ?

Est-il normal qu’une réserve soit prêtée sans subir de perte de volume et en même temps bénéficier d’un revenu ? On parle de réserves d’or, de pétrole et de minéraux qui sont monnayées, mais toutes ces réserves diminuent en volume lorsqu’on y puise. Pour ce qui est de la perte de valeur de l’argent due à l’inflation, nous subissons bien la dépréciation d’autres actifs que nous possédons (maisons, voitures, meubles, équipements ménagers) sans rechercher de compensation pour leur perte de valeur. Pourquoi l’argent, s’il est vraiment un actif, ne devrait-il pas être soumis aux mêmes règles ?

Lorsqu’il y a suffisamment de profit dans une entreprise pour permettre d’accumuler une partie sous forme de solde en banque, le propriétaire est interdit d’en tirer profit en le laissant inactif. Imaginons quelqu’un ayant accumulé une masse d’argent, mais il lui est interdit d’en tirer un revenu sous forme d’intérêt, tout en ayant à payer la zakat sur cette richesse accumulée. Il réalisera très vite qu’il doit l’utiliser à bon escient en produisant quelque chose qui lui rapporte un profit, sinon son capital subira le paiement de la zakat sans aucune contrepartie pour compenser ce prélèvement fiscal et il perdra massivement. L’effet mixte de la zakat et de l’interdiction de l’intérêt est une solide incitation à investir dans du productif, et il est un puissant vecteur de création de richesse et de sa répartition équitable.

L’emprunt sur intérêt est un acte de spéculation sur les bénéfices non encore réalisés.

Il y a toute une panoplie d’opportunités de placement d’argent offerte par les banques Islamiques qui opèrent sans intérêt. Ce qui était un rêve il y a 30 ans de cela, notamment comment gérer une économie sans intérêt, est maintenant une réalité concrète. La Banque Islamique est présente dans 51 pays à travers plus de 300 banques : elle contrôle des actifs de USD 5 trillions par le biais de plus de 1 000 fonds de placement, et elle est le segment qui évolue le plus rapidement dans le monde des finances.

Dans ce système, les entreprises sont financées par des prêts participatifs pour leurs besoins en fonds de roulement et la location-vente pour leurs investissements. Les financements destinés au logement se font par la location d’une habitation acquise par une banque à un ménage, et le rachat mensuel et progressif des parts de la banque dans cet actif immobilier par le ménage.

L’interdiction de l’intérêt est le deuxième outil islamique destiné à contrecarrer les effets négatifs du monopole du capital en le fragmentant davantage dans des activités productrices.

La loi islamique de l’héritage

Pour ceux qui, malgré le prélèvement de la zakat et l’interdiction de l’intérêt, ont encore la capacité de s’enrichir (ce qui n’est aucunement interdit), l’Islam propose encore une troisième mesure économique. Lors du décès de quelqu’un, la loi islamique sur l’héritage prévoit une liste plus étendue d’héritiers que ne préconisent les systèmes contemporains. Ceux-ci incluent, au-delà des enfants, d’autres bénéficiaires, à savoir des parents plus éloignés, et cet élargissement ouvre encore une porte à la fragmentation du pouvoir de l’argent accumulé.

Tout cela consolide l’affirmation que l’islam est un mode de vie, pas une simple collection de sages paroles écrites dans une belle rhétorique destinée uniquement à être chantée en congrégation. Islam walks the talk.

Reconnaissance de la valeur de la vie humaine

Voilà la réponse de l’islam aux maux engendrés par le capitalisme sauvage, envahissant et dominateur dans notre monde moderne, et qui se traduisent par une répartition inéquitable de la richesse. La cupidité, individuellement ou collectivement, a poussé les gens à accumuler des richesses à tout prix, même si cela passe par la corruption, l’aliénation des droits d’autrui, au point de devoir faire la guerre aux gens et prendre des vies précieuses. L’égoïsme a rendu les gens riches totalement indifférents à la misère des pauvres. Leur perception aveugle qu’il y a des vies qui sont plus précieuses que d’autres est preuve de l’échec du système en place et celui de ses institutions à considérer l’ensemble de l’humanité comme une seule communauté d’égaux.

Le capitalisme est un état d’esprit qui fonctionne au coup par coup, de manière sectorielle, sans vision globale des aspirations de tout être humain. Il favorise les détenteurs du capital, et il a montré son échec total à établir la justice sociale, qui est le fondement de la paix mondiale. Il n’est pas fortuit que notre époque révèle chaque jour plus d’indifférence, plus d’exclusion, plus de répression et plus de guerres, les unes plus inutiles et plus meurtrières que les autres.

Ce que l’Islam préconise est la reconnaissance de la valeur de la vie humaine, et il a pour finalité le bien-être des gens en dépit de leurs différences ethniques et raciales. C’est vers ce but noble que toute sa philosophie spirituelle est axée, un spirituel qui vise le concret dans sa finalité, au-delà de simplement inculquer la foi et les pratiques purement religieuses.

Mubarak Sooltangos
Mubarak Sooltangos ([email protected]) est consultant en stratégie et formateur de cadres d’entreprise. Il est auteur de Business Inside Out (2018) et de World Crisis – The Only Way Out (2020).