Par Sushil Khushiram

Il est clair que l’économie mauricienne est engagée sur une pente glissante qui ne manquera pas de déboucher sur une crise, à moins que les politiques populistes ne soient réajustées. Les déséquilibres macro-économiques persistent, et le risque d’un troisième déclassement du crédit souverain au statut de junk n’est pas à écarter.

La dette publique est à un niveau élevé et insoutenable, résultant du financement de déficits budgétaires excessifs, malgré le recours massif à la planche à billets de la banque centrale. L’inflation, récemment à deux chiffres, devrait rester forte dans les années à venir. La croissance du PIB à moyen terme ne devrait pas dépasser 3 % par an, en raison d’une population active en déclin et de secteurs clés touchés par un manque de main-d’œuvre. L’investissement est de plus en plus concentré dans des activités relativement moins productives, telles que des projets à portée politique dans le secteur public et des développements immobiliers dans le secteur privé.

Les comptes extérieurs constituent une préoccupation majeure et représentent le talon d’Achille de l’économie. La croissance des exportations en dollars américains a à peine réagi à la dépréciation de la roupie d’environ 20 % au cours des trois dernières années, tandis que la valeur en dollar américain des importations a continué de croître, alimentée par des politiques budgétaires expansionnistes et des prix élevés de l’énergie. Le déséquilibre du compte courant extérieur a plus que doublé en dollar américain, malgré la reprise des recettes touristiques.

Les pénuries de devises sont devenues chroniques, et un régime informel de contrôle des changes est appliqué pour restreindre les sorties de devises. Un marché noir offshore de devises étrangères s’est déjà développé. Les swaps de devises avec les banques se multiplient, ce qui contribue en partie à retarder les pressions sur la roupie. Les réserves de change diminuent et ne dureront que quelques années encore.

La crise des années 70

Un parallèle peut être établi entre la situation actuelle et les difficultés économiques rencontrées vers la fin des années 1970. Pour rappel, le prix du pétrole a quadruplé en 1973-74 après la guerre du Yom Kippour, et encore doublé en 1979 dans le sillage de la révolution iranienne. L’impact de ces chocs des prix de l’énergie, conjugué à des dépenses budgétaires excessives, a conduit à une dépréciation de la roupie de plus de 20 % en 1979, suivie d’une autre dépréciation d’environ 16 % en 1981.

Les réserves de change se sont réduites à seulement quelques semaines d’importations, et le Fonds monétaire international a été appelé à la rescousse avec un programme de restructuration budgétaire drastique. Des mesures strictes de réduction des revenus et des dépenses ont été appliquées, notamment l’introduction d’un sales tax, ainsi qu’une dépréciation graduelle de la roupie.

La banque centrale s’est transformée en machine à imprimer pour répondre aux besoins de dépenses du gouvernement.

Ces mesures correctives en matière de politique budgétaire, de taux de change, parmi d’autres, ont permis de jeter les bases d’une reprise économique dans les années 1980, sous l’impulsion de l’industrie textile d’exportation, du tourisme, puis des services financiers offshore.

Les différents gouvernements qui ont suivi ont pris au sérieux les grandes leçons de cette crise pétrolière mondiale et se sont efforcés de maintenir une bonne dose de discipline budgétaire dans l’intérêt de la stabilité économique à long terme. Les programmes fiscaux populistes n’ont cependant jamais été complètement abandonnés, avec des promesses électorales relatives à la gratuité de l’éducation et des transports, et à l’augmentation des retraites et d’autres prestations sociales.

Néanmoins, les déficits budgétaires ont été relativement maitrisés, et la dette publique est restée dans les limites recommandées pour les pays à revenu intermédiaire. Parmi certaines réformes importantes, une taxe sur la valeur ajoutée a été introduite, et une autorité fiscale créée pour renforcer les recettes.

Des chocs externes majeurs ont également été enregistrés avec le passage au millénaire, lorsque les quotas préférentiels du textile ont pris fin suite à l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, et que le régime préférentiel de l’Union européenne pour nos exportations de sucre a été progressivement supprimé. Environ un quart de notre secteur textile a disparu, et le secteur du sucre a subi de profondes réformes pour se centraliser et se diversifier dans la production d’électricité.

La réponse budgétaire à ces graves perturbations a fourni l’allégement nécessaire pour soutenir l’économie, mais a par ailleurs tenu compte du déficit et de la soutenabilité de la dette. Préserver l’espace budgétaire pour tout événement défavorable à venir était également pertinent pour exercer une restriction des dépenses. Heureusement, l’expansion marquée des secteurs des technologies de l’information et de la communication, et des services financiers a aidé l’économie à surmonter l’impact négatif de la perte des préférences commerciales.

Largesse budgétaire

Les chocs externes plus récents qui ont secoué l’économie sont dus à l’épidémie de Covid et à la guerre en Ukraine, à travers des hausses des prix des matières premières et de l’énergie ainsi que des ruptures d’approvisionnement. Maurice a répondu par une expansion budgétaire massive, parmi l’une des plus élevées au monde par rapport au PIB, alors que les finances publiques étaient déjà grevées par des augmentations démesurées des pensions de vieillesse à des fins électorales.

En outre, la banque centrale s’est transformée en machine à imprimer pour répondre aux besoins de dépenses du gouvernement, ce qui a encore alimenté la dépréciation de la roupie et l’inflation. Les finances publiques ont également été alourdies par les renflouements du groupe BAI, de MauBank et d’Air Mauritius, ainsi que par l’indemnisation de Betamax, en plus du gaspillage et de la corruption endémiques. Ces dépenses budgétaires inconsidérées auraient pu être dûment évitées ou maintenues dans des limites gérables.

Les leçons durement apprises du passé en matière de rigueur et de viabilité fiscale ont été commodément abandonnées.

Les efforts déployés pour augmenter les recettes grâce à la taxation du pétrole, à une cotisation de retraite obligatoire nouvellement introduite (CSG), ainsi qu’à un prélèvement temporaire sur les hauts revenus, s’avèrent insuffisants pour répondre aux besoins de dépenses sociales sans cesse croissants et pour compenser l’inflation. Le déficit budgétaire et la dette publique sont trop élevés. Les leçons durement apprises du passé en matière de rigueur et de viabilité fiscale ont été commodément abandonnées.

Investissements publics

Contrairement aux années 80, le pays ne peut espérer améliorer la croissance économique sans gains de productivité importants. La nécessité des investissements en capital pour stimuler la productivité à long terme n’est plus à établir. Les investissements du secteur public, concentrés sur le secteur des transports avec la construction de routes et du métro et sur les logements sociaux, sont toujours en baisse de 15 % en termes réels, comparé à la période pré-Covid. Des investissements beaucoup plus importants sont requis pour développer les infrastructures clés du pays, notamment l’eau, l’énergie et la gestion des déchets.

Les graves problèmes qui apparaissent dans les secteurs clés des infrastructures, amplifiés par l’impact des changements climatiques, reflètent un manque flagrant d’investissements en capital. L’urgence d’une nouvelle centrale électrique devient critique. L’eau non facturée dépasse 50 % en raison d’un système de tuyauterie désuet. Le réseau d’eaux usées couvre toujours moins de la moitié de l’île. La construction d’une autre décharge de déchets se fait attendre depuis longtemps.

Une réintroduction effective de la budgétisation par programme devrait permettre de donner la priorité aux investissements publics dans les secteurs ayant un potentiel plus productif. Notre infrastructure est à la traine, et nos opportunités de croissance peuvent être améliorées par une restructuration en profondeur des services publics, surtout l’éducation et la santé. Des politiques de tarification saines et une gestion efficace doivent être favorisées, soutenues par des investissements et une expertise étrangers dont le pays a cruellement besoin.

Privilégier les investissements publics pour stimuler la croissance à long terme souligne l’importance d’une allocation responsable des dépenses courantes du gouvernement. L’expansion continue des dépenses de retraite et de protection sociale ne peut être maintenue sans des réformes structurelles majeures, y compris un ciblage des ressources pour les plus méritants. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons tenir compte des leçons des années 1980 et éviter les conséquences désastreuses d’une mauvaise gestion budgétaire.

Maurice ne retrouvera pas sa santé économique et n’améliorera pas son niveau de vie sans une saine gestion des finances, afin de mieux équilibrer le compte externe pour stabiliser la roupie et réduire l’inflation. Que Maurice puisse retrouver le statut de pays à revenu élevé avec une économie en déséquilibre et une monnaie faible relève tout simplement de la pensée magique.

Sushil Khushiram
Sushil Khushiram était directeur de recherche de la Banque de Maurice, président de la Bourse de Maurice, ministre du dévéloppement économique et des services finanicres, et conseiller spécial de la Banque africaine de développement.