Par Eric Ng Ping Cheun
On attendait de Renganaden Padayachy une indication d’élections anticipées cette année, mais il parle, dès le début de son discours budgétaire, d’un « penultimate budget ». Le gouvernement compte donc présenter unautre budget, mais il peut très bien aller aux urnes plus tôt. Le quatrième grand oral du grand argentier, lui, n’a rien d’exceptionnel par rapport aux trois précédents, mis à part la réforme du régime d’imposition. Il a certes distribué des sucreries habituelles, mais pas au point de nous rendre diabétiques !
Petit changement de forme : le discours commence par les fondations de l’économie, et non du social, soulignant l’objectif d’améliorer la facilitation des affaires et de « ensure implementation of reforms in line with the recommendations of the World Bank ». C’est là un signal envoyé aux agences de notation qui s’impatientent de voir enclencher de véritables réformes économiques.
Sinon, le ministre des finances est resté fidèle à lui-même, c’est-à-dire un fort prodigue en aides et subventions en tous genres. Il faut reconnaître qu’il apporte un grand soulagement à la population qui a vu s’effriter son pouvoir d’achat : le revenu minimum garanti, doublement de l’allocation CSG pour certains salariés, hausse de la pension de vieillesse, enlèvement de la TVA sur des produits de consommation et baisse du prix de l’essence.
Même les gros salariés sont comblés avec l’abolition de la taxe de solidarité qui représentait un taux marginal d’imposition de 25% (au-delà du taux normal de 15%). Le pays peut donc souffler en tant que centre financier international, mais il n’est pas certain que la juridiction gagne en compétitivité avec le nouveau système de taxation. Le problème n’est pas tant la progressivité que le nombre excessif de tranches d’imposition (onze). De la simplification de l’impôt plat (flat tax) dans le passé, on en vient maintenant à une complexification de l’imposition, susceptible de favoriser la fraude fiscale. Un gain de seulement 0,6 point de pourcentage de la croissance économique risque d’être insuffisant pour justifier le coût additionnel de l’administration fiscale.
L’expansionnisme budgétaire, soutenant la consommation, va à l’encontre d’une politique monétaire restrictive.
Progressif n’est pas progressiste
Le système fiscal d’un pays reflète la couleur idéologique du gouvernement. Le quatrième budget de Padayachy veut plaire à tout le monde, du plus vulnérable au gros salarié. En même temps qu’il multiplie les aides, subventions et dégrèvements fiscaux, il allège la taxation des particuliers et abolit la taxe de solidarité (ce qui fait perdre Rs 3 milliards au Trésor public, selon Maurice Stratégie). Se pose alors une question fondamentale : une économie peut-elle soutenir à la fois un État-providence de plus en plus budgétivore et une fiscalité relativement légère ? C’est fiscalement impossible, mais c’est possible grâce à l’inflation.
On a qualifié le budget 2023-24 de « socialiste », voire de « gauchiste ». En l’occurrence, le nouveau régime d’imposition, qui est progressif, serait socialement plus juste que le système proportionnel de l’impôt plat, tel que le taux de 15 % introduit par Rama Sithanen en 2007. Pourtant, celui ayant un revenu imposable de Rs 4 millions paiera moins d’impôts sous le régime proposé (Rs 594 800) que s’il était assujetti à un taux uniforme de 15 % (Rs 600 000). Ainsi, les hauts revenus (ceux dont le revenu imposable se situe entre un et quatre millions de roupies) seront moins taxés sous ce système progressif. Progressiste, ça ?
Il est vrai que les bas revenus paieront moins d’impôts sous le nouveau régime fiscal, et que les très hauts revenus dont le revenu imposable dépasse Rs 4,1 millions seront plus pénalisés qu’avec l’impôt plat de 15 %. Dès lors, on peut qualifier la nouvelle philosophie du ministre des finances de « socialisme libéral », comme un clin d’oeil au Libéralisme et justice sociale de Jean-Pierre Dupuy (2009). Elle épouse le principe de différence de Rawls, selon lequel les inégalités économiques et sociales doivent être agencées pour le plus grand bénéfice des individus les moins favorisés de la société.
La progressivité, toutefois, n’encourage pas les employés productifs à travailler plus pour gagner plus. Surtout qu’il existe trop de tranches d’imposition, et que plus elles sont restreintes, plus elles incitent les contribuables à frauder. Du reste, ils ne voudront pas faire des heures supplémentaires pour basculer dans une tranche supérieure où ils paieront plus d’impôts.
Donc, la progressivité ne favorisera pas la productivité du travail, déjà mal en point. On aura le même effet pervers avec le revenu minimum garanti (Rs 15 000) qui est une extension du salaire minimum (Rs 11 575) auquel s’ajoutent des allocations de l’État (Rs 3 425). Même si l’employeur ne paie que le salaire minimum, il sera sous pression pour augmenter les salaires qui se trouvent juste au-dessus du revenu minimum (entre Rs 15 000 et Rs 18 425) afin de respecter la hiérarchie salariale. Faute de quoi, les salariés qui tombent dans cette catégorie se sentiront dévalorisés et démotivés face à leurs subalternes.
Enchaînement prix-salaire
Ainsi, l’intervention, même indirecte, de l’État dans la politique salariale des firmes, via ses allocations de revenu, ne peut qu’engendrer une hausse des coûts de l’entreprise. C’est ainsi qu’opère l’enchaînement prix-salaire qui fait galoper l’inflation. Elle ne sera pas maîtrisée tant que les autorités continueront à injecter de l’argent dans l’économie sans que suive la production. Même si demain les prix des marchandises importées baissent, il y aura toujours de l’inflation domestique, du fait que le gouvernement donne aux gens les moyens de dépenser.
L’inflation crée une fausse atmosphère de prospérité en stimulant le PIB en termes nominaux.
L’expansionnisme budgétaire, soutenant la consommation, va à l’encontre d’une politique monétaire restrictive. Avec la dépréciation de la roupie qui résulte de l’accroissement des importations, il devient plus difficile de combattre l’inflation par un resserrement monétaire. Ce n’est pas là une excuse pour assouplir le taux d’intérêt, mais c’est au contraire une raison de plus pour la Banque de Maurice de durcir les conditions financières devant tant de laxisme fiscal.
C’est tout dire que le discours budgétaire ne mentionne pas une seule fois le mot épargne, ni ne donne une estimation du taux d’inflation pour la prochaine année fiscale. On note, néanmoins, que l’inflation dans l’ensemble de l’économie, mesurée par le déflateur du PIB, sera de 9 % en 2023-24, comme en 2022-23. C’est énorme, d’où il est prévu encore Rs 12 milliards de TVA de plus.
Dans une telle économie inflationniste, on assistera à une guerre de surenchères entre tous les partis politiques confondus. Ils aiment l’inflation qui crée une fausse atmosphère de prospérité en stimulant le PIB en termes nominaux. Personne n’osera revenir sur les gratuités, devenues des « acquis sociaux », jusqu’à ce qu’une contraction économique force le gouvernement à une austérité budgétaire. Car c’est en termes réels, hors effet prix, que se mesure la richesse d’un pays.
Enfin, l’inflation déprécie la somme principale et les intérêts d’une dette. Malgré tout, le budget prévoit que « Rs 1,000 monthly will be provided to individuals who have contracted loans of up to Rs 5 million for the purchase of their home ». Sur un capital de Rs 2,5 millions en moyenne, cette subvention représente un taux d’intérêt annuel de 0,48 %. À charge pour le comité de politique monétaire de prendre, après six mois d’inactivité, la seule décision qui vaille sur le taux directeur : une hausse d’au moins 50 points de base.
Alors que la pandémie est derrière nous, et qu’on se targue d’avoir réalisé « higher economic growth, more jobs, higher revenue, higher investment, higher FDI, higher exports », on ne comprend pas pourquoi le gouvernement maintient les aides dues au Covid. L’inflation se chargera de nous ramener à la dure réalité économique.
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